7 Dicembre 2004

27 Apr 2010 | En Français

Heureux les artisans de paix

” Heureux “, nous sommes donc invités au bonheur, mais il s‘agit d’un bonheur paradoxal, le bonheur des ” béatitudes “. Ce bonheur n’est pas dans l’air du temps, mais c’est celui dont le monde a besoin.

I. ” Guerre et Paix ” ou de quelques notions à préciser.

 

 

Quelques réflexions pour préciser ce dont nous parlons quand nous parlons de paix, et donc de guerre, tant au niveau personnel que collectif.

a) Entre Guerre et Paix, qu’est-ce qui est premier ?La guerre est-elle une ” rupture de la paix “, un accident, ou la paix est-elle une trêve entre deux périodes de conflits ? Notre regard sur la paix ne sera pas le même si nous la considérons comme la situation normale de humanité ou si, dans une vision plus réaliste ou cynique, nous remarquons que la situation ‘habituelle’ – majoritaire – de l’humanité est le conflit, et que les périodes de paix sont des répits et des préparations en vue de la guerre future. Pour Héraclite d’Ephèse, ” La lutte est père de toutes choses “.

Dans le premier cas, faire la paix revient à éviter la guerre, dans le second cela revient à faire du neuf. Le regard théologique sur cette question n’est ni irénique, ni cynique. Il essaie d’être réaliste et de donner sens au présent en l’inscrivant dans une histoire, qui est une histoire sainte, une histoire de salut.

b) Une définition célèbre : Saint Augustin.Théologien et philosophe immense, Augustin d’Hippone a laissé une œuvre qui a influencé toute la pensée occidentale. Dans une de ses œuvres majeures, ” La cité de Dieu “, qui est une contemplation de l’Histoire humaine et du dessein de Dieu, il propose une définition célèbre de la paix : ” La paix est la tranquillité de l’ordre “.

” Ainsi la paix du corps, c’est le tempérament bien ordonné de ses parties ; la paix de l’âme irraisonnable, le repos bien ordonné de ses appétits ; la paix de l’âme raisonnable, l’accord bien ordonné de la connaissance et de l’action ; la paix du corps et de l’âme, la vie et la santé bien ordonnées de l’être animé ; la paix de l’homme mortel et de Dieu, l’obéissance bien ordonnée dans la foi sous la loi éternelle. La paix des hommes, c’est la concorde ordonnée ; la paix domestique, c’est entre les hôtes du même foyer, la concorde et l’ordre du commandement et de l’obéissance ; la paix sociale, c’est entre les citoyens la concorde et l’ordre de l’autorité et de la soumission ; la paix de la cité céleste, c’est l’ordre et la concorde, une société dabs la jouissance de Dieu, dans la jouissance mutuelle de tous en Dieu. La paix de toutes choses, c’est la tranquillité de l’ordre. L’ordre, c’est cette disposition qui, suivant la parité ou la disparité des choses, assigne à chacune sa place. “(Cité de Dieu, Livre XIX, chapitre 13)

Remarque :

Si la paix est la tranquillité de l’ordre, la guerre sera, soit un trouble de l’ordre, soit une tranquillité du désordre (formule un peu paradoxale) ou plus justement, la tranquillité d’un pseudo ordre, d’un ordre injuste. L’ordre ne se définit donc pas par la tranquillité, il se caractérise par la justice qui consiste à ” rendre à chacun ce qui lui est dû “.

 

c) D’où vient l’ordre de justice ?L’ordre, dont la tranquillité est synonyme de paix, et fondamentalement don de Dieu.

1. L’ordre est don de Dieu en tant qu’il est lié à la création.

L’acte créateur de Dieu (non seulement initial mais permanent) est une ” mise en ordre “, une distinction, une séparation. La distinction permet l’identité, la reconnaissance de l’autre comme autre, et ainsi le don et l’accueil, la relation, la vie sociale. Dans ce cadre, ce qui s’oppose à la paix est ce qui introduit la confusion dans la création, ce qui rend difficile la relation et qu’on nomme, en théologie, le péché, lequel me coupe de Dieu, des autres, et me divise intérieurement entre mon désir et mon action.

Nous sommes dans cette situation d’une création bonne, marquée profondément par la présence en elle du péché qui touche les rapports humains, tant interpersonnels qu’internationaux. A cette lumière, croire que notre devoir consiste simplement à ” éviter le conflit ” et à dire ” plus jamais la guerre “, revient à se croire encore dans le jardin d’Eden.

2. L’ordre et la paix sont liés à notre rédemption, notre salut.

C’est la paix qu’apporte le Messie annoncé par Isaïe qui le nomme : ” prince de la paix “. C’est paix qu’apporte Christ qui nous dit : ” je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ” et qui ajoute : ” je ne vous la donne pas comme le monde la donne “. En effet, il dit aussi qu’il ” est venu apporter l’épée sur la terre ” et ” qu’on se divisera à cause de son nom “.

La paix que le Christ apporte n’est donc pas une simple ” absence de conflit “, un irénisme.

Le Christ vient nous rendre capables d’être des artisans de paix, mais cette paix n’est pas absence de guerre, elle peut passer par un conflit nécessaire : ” évangélisme n’est pas angélisme “.

Cela nous montre que le problème de la paix se situe d’abord au niveau de la conversion, car sa racine se trouve dans le coeur de homme, attiré par le mal.

II. ” Le meilleur des mondes ” ou comment être artisan de paix ?

a) l’artisan de Paix doit mener pacifiquement les ‘guerres justes’.1) Le but de tout conflit, c’est la paix (ordre de justice); et la pureté d’intention se vérifie à la justice de la paix qui succède à la victoire.

 

2) Avoir un adversaire ne signifie par avoir besoin de le haïr.

Le Christ nous a dit d’aimer nos ennemis (non pas de ne pas en avoir), ce qui signifie souhaiter leur bien. Or, en langage Chrétien, le bien ultime c’est le salut, le fait de partager la vie de Dieu.

Il y a des exemples de ” Guerre sans haine “, titre d’un ouvrage traitant de la guerre du désert durant la WWII. Des témoignages de soldats allemands, partis combattre des ” sous hommes ” sur le front de l’Est, illustrent la découverte qu’ils on faite du respect que leur ont inspiré, peu à peu, leurs adversaires. La commune épreuve faisant découvrir la commune humanité.

Dans le combat nous sommes invités à garder la maîtrise de soi, de sa victoire, de ses émotions, alors même que la guerre est intrinsèquement déshumanisante.

b) L’artisan de paix doit regarder le mal en face pour l’arracher à la racine.1. Regarder le mal en face…

La guerre est liée au péché. Or, le problème avec le péché c’est qu’il est attirant. Pourquoi les hommes font-ils la guerre ? ” Parce qu’ils aiment ça et que les femmes aiment ceux qui la font pour elle ” (Martin van Creveld, la transformation de la guerre). Il y a là quelque chose de très vrai et de terrible qu’il faut regarder avec réalisme : on fait la guerre parce qu’on aime ça. Il n’est que de voir les jeux vidéo les plus vendus. Cette fascination cesse bien vite quand on est directement confronté à la guerre, mais il est alors trop tard.

Un enjeu est d’orienter vers le bien, cette énergie gaspillée; de faire du bien une entreprise enthousiasmantes, d’inventer de nouvelles frontières à conquérir.

Ce portrait de l’artisan de paix semblera peut-être pessimiste, il essaie d’être réaliste.

2 …pour l’arracher à la racine.

Il s’agit de voir pour soi-même, ce qui fascine ; de reconnaître les forces de mort qui sont à l’oeuvre aussi en moi, et de les combattre le regard fixé sur la croix du Christ car, comme le dit Saint Paul, ” en sa personne, il a tué la haine “.

L’œuvre de René Girard peut nous éclairer sur ce point. Il a montré comment le Christ en croix libére l’homme de sa violence en transformant le rôle de la victime expiatoire.

Normalement, le ” bouc émissaire ” est chargé des péchés du peuple ; il est déclaré coupable et mis à mort pour libérer provisoirement le peuple de sa culpabilité. Face au Christ en croix, le renversement se produit quand on reconnaît que le supplicié est innocent. Il révèle la faute de ses accusateurs, qui se découvrent alors coupables. Mais cette mise en lumière n’est pas une condamnation ni une impasse, car elle est accompagnée de pardon.

La Croix du Christ nous apporte la paix car elle permet la vérité qui ouvre au pardon, qu’elle nous apporte. L’artisan de paix unique, fondamentalement, c’est le Christ, le Fils unique de Dieu, ” faisant la paix par le sang de sa croix “. Notre mission est d’être, nous aussi, artisans de paix, en étant révélateurs de Vérité et de Pardon.

Remarque:

 

” Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu “.

Que la paix soit oeuvre de Dieu dans la création, ou par rédemption, elle est toujours à accueillir comme don. Et cette paix que nous recevons, Il attend de nous que nous en soyons des catalyseurs. Nous devons bâtir la paix,… que Dieu donne.

III. ” Crime et châtiment ” ou de l’avocat pacificateur.

Je n’oublie pas que je m’adresse à des avocats, dévoués à la défense de causes qui ne sont pas toujours celles qu’ils auraient choisies. Mais qui le font non parce que toute cause est défendable, mais parce que toute personne à droit à être défendue. Comment, cela à l’esprit ainsi que ce que nous avons dit plus haut au sujet de la paix, vivre votre vie professionnelle comme des artisans de paix ?

Je vous propose trois éléments de réponse.

a) Si bâtir la paix revient à garantir la tranquilité d’un ordre de justice, ne cherchez pas pour autant la justice divine ici-bas.Dieu seul est juste juge, la justice à laquelle vous contribuez n’est pas divine, votre mission est qu’elle demeure et devienne de plus en plus humaine.

Cela a trois conséquences :

1. Agir avec prudence, (qui est une vertu cardinale).

La présence de croix (exemple le plus célèbre d’erreur judiciaire) dans les prétoires dans certains pays, -peut-être en alsace- y est une invitation.

2. Savoir que le but n’est pas la vérité absolue, que Dieu seul connaît, mais qu’il y a une vérité à toujours garder à l’esprit : la vérité intangible du regard que vous portez sur les personnes qui se confient à vous ou qui vous sont confiées. Que ce regard soit emprunt du respect dû à toute personne, dont le mystère ne se réduit jamais à ses actes.

3. Si vous ne pouvez atteindre la vérité, cherchez au moins l’erreur, pour la traquer et la limiter au maximum ; C’est là votre devoir d’état ;

b) Comment faire pour que la paix, par la victoire que je cherche, ne soit pas grosse de guerres futures ?1. Par la mesure, la modération dans l’usage de sa victoire, fut elle judiciaire.

2. En essayant de laisser une ouverture à la réconciliation, au pardon, qui est le lien unique de la paix véritable. Cette attitude de fond passe par le fait de vivre soi-même le pardon dans sa vie, en commençant par le recevoir de Dieu.

c) Le ” Paraclet “, autre nom de l’Esprit-Saint est traduit parfois par avocat. Voici d’autres traductions possibles qui toutes disent quelque chose du rôle de l’avocat : conseiller, défenseur, intercesseur, l’esprit de paix.

En guise de conclusion voici une prière de Saint Thomas Becket

‘ god grant me the serenity to accept things I cannot change, courage to change the things I can, and wisdom to know the différence’

P. Gabriel Delort-Laval

Non qu’ils ne l’étaient pas avant, mais ils rendent ainsi visible leur identité réelle.